Les anthologies impériales shū

 

 

En 794, la capitale du Japon est transférée de Nagaoka 長岡 à Heiankyō 平安京.

Cette date marque une étape dans l’histoire de l’art du Japon : le pays vivant en paix, les aristocrates de la Cour n’ont d’autres distractions que les arts, mais plutôt que d’être inventifs, ils imitent la musique et la poésie chinoises. Les historiens littéraires qualifient d’ailleurs d’âge des ténèbres cette période allant jusqu’au milieu du 9ème siècle.

Preuve de cette époque, trois recueils de prose et de vers en chinois, composés par des poètes japonais, ont été compilés après le Man’yoshū, dans la droite ligne du kaifūsō 懐風藻 (anthologie de kanshi, poèmes écrits en chinois) publié en 751 :

-         keikokushū 経国集, commandé par l'Empereur Junna en 827, à Yoshimine no Yasuyo

-         ryōunshū 凌雲集, commandé par l'Empereur Saga en 814

-         bunka shūreishū文華秀麗集, commandé par l'Empereur Saga en 818

 

Le waka n’avait pas la faveur de ces esthètes, mais il a survécu à cette mode chinoise grâce aux Dames de la Cour. Celles-ci, retirées dans leurs quartiers et ignorant le chinois, l’employaient pour leurs échanges amoureux.

 

Le Kokinshū devint un signe politique fort, pour marquer le déclin de cette mode chinoise, et reconnaître, de facto, que la poésie japonaise s’était modernisée et qu’elle n’avait plus rien à envier à la poésie chinoise.

A la suite du Kokin wakashū, vingt autres anthologies ont été compilées sur ordre impérial, de 951 à 1439.

 

1. Les 21 anthologies

 

Elles étaient commandées par les Empereurs à des poètes chargés de compiler les meilleurs waka parus jusqu’au jour de la publication.

 

Les anthologies sont également connues sous leur nom sans le terme waka 和歌 : kokinshū, gosenshū, shūishū, etc.

Le nom des empereurs est toujours suivi de leur titre : Daigo-Tennō 醍醐天皇, Murakami-Tennō 村上天皇, etc.

 

 

 

L’ensemble des 21 anthologies est connu sous le nom de Chokusenshū 勅撰集 ou nijūichidai shū 二十一代集[1]. Les trois premières anthologies sont rassemblées sous le titre de sandaishū 三代集. Elles sont en effet indissociables car le Gosenshū et le Shūishū apparaissent comme des compléments au Kokinshū.

 

Les 8 premières sous l’appellation de hachidaishū 八代集, et les 13 dernières jūsandaishū 十三代集.

Les deux plus célèbres sont la première (Kokin Waka Shū) et la huitième (Shinkokin Waka Shū).

 

19 d’entre elles sont composées de 20 volumes et 2 (n° 5& 6) de 10 volumes.

Au total, près de 34000 poèmes ont été publiés, certains paraissant dans plusieurs anthologies.

 

 

見わたせは柳桜をこきませて都そ春の錦なりける

 

Miwataseba

Yanagi sakura o

Kokimazete

Miyako zo haru no

Nishiki narikeru

 

Quand je contemple là-bas, partout,

Les saules avec leur verdure

Mélangée à celle des cerisiers en fleurs,

La capitale est comme

Un joli brocard au printemps.

 

Sosei 素性

Traduction Hisayoshi Nagashima

 

 

 

 

 


 

 

 

2. Les compilateurs

 

Les compilateurs étaient nommés par l’Empereur. C’était un rôle important pour les poètes qui n’hésitaient pas à privilégier leur clan.

Ainsi, sur les dix dernières, huit sont dominées par le clan Nijō[2]. Et Nijō Tameyo, compilateur de la 15ème, refusait que la 14ème anthologie soit dirigée par son principal rival poétique et politique, Tamekane… à tel point qu’il a fallu attendre 5 ans entre la commande de l’Empereur et le début des travaux.

 

 

Ki no Tsurayuki tient une torche sous la pluie (partie)

Kogyo Tsukioka 1860-1927


 

 

Titre

Compilateur

1

Kokin Waka Shū

Ki no Tsurayuki 紀貫之, Ki no Tomonori 紀友則, Ōshikōchi Mitsune凡河内躬恒, Mibu no Tadamine 壬生忠岑

2

Gosen Waka Shū

Ōnakatomi no Yoshinobu 大中臣能宣(921–991), Kiyohara no Motosuke 清原元輔 (908–990), Minamoto no Shitagō 源順 (911–983), Ki no Tokibumi 紀時文 (922-996), Sakanoue no Mochiki 坂上望城 (?-?)[3]

3

Shūi Waka Shū

Probablement : Fujiwara no Kintō 藤原公任 (996-1008)

4

Goshui Waka Shū

Fujiwara no Michitoshi 藤原通俊 (1047-1099)

5

Kinyo Waka Shū

Minamoto no Toshiyori 源俊頼朝 ou Minamoto no Shunrai 源俊頼 (1114-1204)

6

Sika Waka Shū

Fujiwara no Akisuke 藤原顕輔 (1090-1155)

7

Senzai Waka Shū

Shunzei : Fujiwara no Shunzei ou Fujiwara no Toshinari 藤原俊成 (1114-1204)

8

Shinkokin Waka Shū

Fujiwara no Teika 藤原定家 (1162-1241), Fujiwara no Ariie 藤原有家(1155-1216), Fujiwara no Ietaka 藤原家隆(1158-1237), Jakuren 寂蓮 (1139-1202), Minamoto no Michitomo 通具(1171-1237), Asukai Masatsune 飛鳥井雅経(1170-1221)

9

Shinchokusen Waka Shū

Fujiwara no Teika 藤原定家 (1162-1241)

10

Shokugosen Waka shū

Fujiwara no Tameie 藤原為家 (1198-1275)

11

Shokukokin Waka shū

Fujiwara no Tameie 藤原為家 (1198-1275)

12

Shokushūi Waka shū

Fujiwara no Tameuji 藤原為氏 (1222-1286)

13

Shingosen Waka shū

Fujiwara no Tameyo ou Nijō Tameyo 二条為世 (1250-1338)

14

Gyokuyō Waka shū

Kyōgoku Tamekane 紀伊國屋書店 (1254-1332)

15

Shokusenzai Waka shū

Fujiwara no Tameyo ou Nijō Tameyo 二条為世 (1250-1338)

16

Shokugoshūi Waka shū

Fujiwara no Tamafuji puis Fujiwara no Tamesada 藤原為定 ou Nijō Tamesada (1293-1360)

17

Fūga Waka shū

Emperor Hanazono 花園天皇 (1297-1348)

18

Shinsenzai Waka shū

Fujiwara no Tamesada 藤原為定 ou Nijō Tamesada (1293-1360)

19

Shinshūi Waka shū

Fujiwara no Tameaki 藤原為顕 (1230-1295)

20

Shingoshūi Waka shū

Fujiwara no Tametō ou Nijō Tametō (1341-1381) puis Fujiwara no Tameshige ou Nijō Tameshige 二条為重 (1325-1385)

21

Shinshokukokin Waka shū

Asukai Masayo 飛鳥井 雅世 (1390-1452)

 

 

 

 

3. Les thèmes[4]

 

Le Kokinshū inaugure une nouvelle forme de classement en présentant les poèmes par thèmes.

 

Hors mis les volumes sur les saisons qui occupent les premières places dans toutes les anthologies, il n’y a pas d’ordre pour les thèmes.

Les poèmes de félicitations (ga ), par exemple, se trouvent aussi bien dans le volume qui suit les saisons (Kokin Waka Shū, Goshui-waka-shu, Kinyo-waka-shu, Sika-waka-shu, Shinkokin-waka-shu, Shinchokusen-waka-shu, Shinshūi Wakashū) que dans le dernier volume de l’anthologie (Gosen Wakashū, Shingosen Wakashū, Shokusenzai Wakashū, Fūga Wakashū, Shingoshūi Wakashū).

 

L'ordre est ainsi différent, car certains compilateurs n’ont pas voulu suivre aveuglément la tradition.

 

 

1.

Les saisons représentent plus de 37% des poésies.

Sur les 15 anthologies étudiées, 6 volumes sont consacrés aux saisons dans 9 cas, 8 volumes dans 4 cas et 4 volumes dans les deux anthologies qui ne contiennent que 10 livres au total (Kinyo-waka-shu & Sika-waka-shu)

 

Le printemps (haru ) et l'automne (aki ) sont essentiellement répartis sur 2 volumes par anthologie.

Un seul volume est consacré à l'été (natsu ) et l'hiver (fuyu ). Cette différence est probablement due aux variations de saison plus sensibles au printemps et à l’automne et aux deux importantes fêtes saisonnières que sont hanami 花見(la contemplation des fleurs de cerisier) et tsukimi月見(la contemplation de la première lune d’automne).

 

Trois anthologies (Shūi Wakashū, Shokushūi Wakashū & Shingoshūi Wakashū) ont cependant recensés dans deux volumes supplémentaires des wakas divers (zatsu ). Certains sont classés par saisons (le printemps dans les 3 cas, l’automne une fois et l’hiver 2 fois), ce qui augmente d’autant l’importance des saisons dans les anthologies.

 

 

梅花匂ふ春へはくらふ山やみにこゆれとしるくそ有ける

 

ume no hana

nioo harube wa

kurabu yama

yami ni koyuredo

shiruku zo arikeru

A la saison des fleurs de prunier

Qui diffusent leur parfum;

Quand je traverse le Mont Kurabu

Dans l'obscurité,

Je découvre leur présence

 

Ki no Tsurayuki

Traduction Hisayoshi Nagashima

 

 

A propos des sujets récurrents, Hisayoshi Nagashima explique[5], pour le kokinshū, par exemple : « Les Tanka sur les pruniers et les cerisiers occupent la majeure partie des deux tomes (Le printemps commençait à cette époque en janvier et se terminait en mars).

Les glycines, le coucou, la nuit d'été, les orangers sont des sujets de l'été.

Les sujets de l'automne sont essentiellement la Voie lactée, l'arrivée des canards mandarins, les crissements d'insectes, les cerfs qui brament, les valérianes, les chrysanthèmes, les feuilles rouges des érables.

Les tankas sur l'hiver, peu nombreux, sont sur la neige, la gelée, ou la fin d'année. »

 

 

 

白雪のところもわかずふりしけばいはほにもさく花とこそ見れ

 

 

shira yuki no

tokoro mo wakazu

furi shikeba

iwao ni mo zaku

hana to koso mire

 

Quand la neige tombe

Et couvre tout,

Sans distinction des lieux;

On pourrait croire que ce sont des fleurs,

Qui, même sur les rochers, s'épanouissent.

 

Ki no Akimine 紀あきみね

Traduction Hisayoshi Nagashima

 

 

2.

Les wakas d’amour (ren ) représente la deuxième catégorie de wakas avec plus de 25% du volume total, tant en nombre de poèmes qu’en nombre de livres (71).

 

Poétesses (artiste inconnu – vers 1800)


Les poétesses tenant une place particulièrement importante à cette époque, il ne faut pas s’en étonner !

L’espace réservé aux poèmes d’amour dans les anthologies varient entre 19% (pour 4 volumes dans le Goshui-waka-shu) et 40% (pour 6 volumes dans le Gosen Wakashū).

 

ふじのねのけぶりもなをぞたちのぼるうへなきものはおもひなりけり

 

fuji no ne no

keburi mo nao zo

tachi noboru

ue naki mono wa

omoi nari keri

 

Comme la fumée

S’élève du faîte

Du Mont Fuji ;

A des hauteurs sans limite

Montent mes lamentations d’amour.

 

 

Fujiwara no Ietaka (SKKS 1132) 家隆朝臣

Traduction Hisayoshi Nagashima

 

 

 

Les tankas d’amour remontent à la mythologie.

Ne dit-on pas que les premiers poèmes japonais furent les mots échangés par les jeunes Izanami et Izanagi ?

« Le couple divin inventa un rituel nuptial. Ils tournèrent l’un et l’autre autour du pilier céleste, par la gauche pour Izanagi, et par la droite pour Izanami. Quand ils se rencontrèrent, ils échangèrent ces mots :

‘Oh le beau jeune homme’ dit Izanami.

‘Oh la belle jeune fille’ répondit Izanagi. »[6]

 

Ainsi le tanka n’a jamais cessé de servir de messager de l’amour. C’était même devenu le « seul moyen pratique pour communiquer sa pensée ou son amour à l’élu de son cœur. »[7] D’ailleurs, de nombreux poèmes, catalogués dans ces volumes, vont par paires, présentant ainsi des échanges poétiques entre amoureux.

 

A l’époque Heian, les poètes ont même fini par considérer que seul un tanka exprimant des sentiments amoureux était digne d’être dénommé tanka. Bien évidemment, l’auteur n’affichait pas son affection, celle-ci étant dissimulée par des sous-entendus ou dans la description de paysages.

« Les Dames de la Cour étudiant et analysant la psychologie de l’amour »[8] étaient passées maîtres dans l’art du tanka d’amour. Les hommes ne faisaient que les imiter.

Mais à partir de la fin de l’époque Heian, les hommes ont commencé à composer des tankas d’amour selon leur propre inspiration, allant même jusqu’à parler au nom des femmes.

 

 

かへるさの物とや人のながむらんまつよながらのありあけの月

kaeru sa no

mono to ya hito no

nagamuran

matsu yo-nagara no

ariake no tsuki

 

Comme une chose familière

Sur la route, à son retour;

Mon bien-aimé regarderait-il

La lune du matin ?

Moi je la vois aussi

Après l’attente de toute une nuit.

 

 

Fujiwara no Sadaie (SKKS 1206) 定家朝臣

ou Fujiwara no Teika 藤原定家

Traduction Hisayoshi Nagashima

 

 

 

3.

46 volumes, pour 20% des poèmes, sont consacrés au thème divers (zatsu ). Sous cette appellation, « on trouve des tanka de la vie quotidienne. »[9]

Il y a de 2 à 5 volumes par anthologie, plus fréquemment trois.

 

Loin derrière ce tiercé, nous rencontrons les poèmes shinto et bouddhiste (5.5%), les poèmes de voyage (4.68%) puis les wakas de félicitations (environ 3%). D’autres thèmes, qui n’ont pas rencontré la faveur des compilateurs, se retrouvent dispersés : noms de choses (motsu mi物名) dans le Kokin Waka Shū & le Shūi Wakashū et les lieux célèbres (sho go所御)  dans le Kokin Waka Shū.

Restent les poèmes de condoléances qui ont un volume dans 8 anthologies.

 

 

4.

Les wakas religieux se répartissent entre shintoïsme et bouddhisme.

Les premiers sont présents dans 11 anthologies et les seconds dans 9, pourtant les poèmes bouddhistes sont plus nombreux (environ 630 wakas contre 560).

La première anthologie à faire une place aux poèmes shintō est le Shūi Wakashū (n° 3), en l’an 1000.

Le Goshui Wakashū (n° 4)suivra l’exemple.

 

Puis il faudra attendre la 7ème anthologie, le Senzai Wakashū, un siècle plus tard, pour trouver des poèmes de chaque religion, centres d’intérêt du compilateur.

 

kesa mo izuru

ono no yamabito

chihayaburu

kamo no miare no

michinobe ni

 

Ce matin encore, arrivent
des montagnards de Ono[10].
Du sanctuaire Kamo[11],
la procession
descend la route.

 

Fujiwara no Teika 藤原定家

 

 

 

Le shintô[12] (la voie des dieux) fut religion officielle jusqu’en 593, lorsque le Prince régent Shotoku Taishi décréta le bouddhisme[13] religion d'état, après que la famille Soga (bouddhiste) ait gagné sur sa rivale, la famille Mononobe (shintoïste), la querelle religieuse, et ensanglantée, qui les a opposés pendant 70 ans.

En 1868, l'Empereur Mutsuhito a, de nouveau, érigé le shintô comme religion d'état. Moins d'un siècle plus tard, la liberté de religion fut décrétée après guerre.

Hors mis dans le Shinkokin-waka-shu où ils sont en quantité égale, les poèmes bouddhistes sont toujours supérieurs en nombre aux poèmes shintō.

 

 

5.

Les poèmes de voyage (ryo ) sont, dans la moitié des cas, répartis sur deux volumes : partir & se loger en voyage.

Ils représentent près de 5% des poèmes.

C’est le troisième thème important, si on exclut les poèmes classés en divers.

 

« Les Tanka de voyage dans le Man’yoshū furent plutôt composés sur la séparation, le regret de laisser sa femme, sa famille ou sa fiancée et sur la difficulté du voyage, etc., tandis que les bons Tanka de voyage sur les paysage seuls sont plutôt rares.

Pendant l’époque Heian et au début de l’époque Kamakura, les Tanka de voyage ne sont pas de grande valeur, car les poètes de ces époques les composaient sur place »[14], sans se déplacer.

 

みちのべにしみづながるゝやなぎかげしばしとてこそたちとまりつれ

 

michi nobe ni
shimizu nagaruru
yanagi kage
shibashi tote koso
tachitomaritsure

 

Au bord de la route

Un clair ruisseau passe

A l’ombre d’un saule pleureur ;

Je m’y arrête avec l’intention

De n’y rester qu’un moment

 

 

Saigyô 西行法師

Traduction Hisayoshi Nagashima

 

 

Seul Saigyō, bonze poète célèbre pour ses voyages, trouvait grâce aux yeux de Hisayoshi Nagashima.

 

 

 

6.

Les poèmes de félicitations (ga ) représentent la dernière catégorie publiée dans chaque anthologie.

Le nombre moyen de poèmes par volume est d’une cinquantaine. Cela varie de 13 (Sika-waka-shu) à 91 (Shūi Wakashū).

 

« Le tanka occupait une grande partie de la vie des nobles à la cour impériale. Par exemple, à toutes les cérémonies de la cour, le Tanka était composé et chez les particuliers, il se composait pour les souhaits, plaisirs, lamentations, séparations et pour accompagner des cadeaux, le Tanka se composait donc à chaque occasion. Mais on était libre de s'en abstenir pour les circonstances sociales. Cependant au sujet du mariage, on était obligé de composer des tanka soi-même. »[15]

 

 

 

4. Les auteurs

 

Ä Les anonymes :

L’auteur le plus souvent cité est… anonyme ! Paradoxe dû au fait que nombre des poèmes ont été recueillis lors de concours.

Dans d'autres cas des poèmes ont été volontairement publiés sans signature par pure volonté diplomatique. Ainsi, dans la Senzai Wakashū et la Gyokuyō Wakashū, les compilateurs n'ont pas signés les œuvres de Tairo no Tadanori (1144-1184) afin de ne pas offenser la Cour impériale en ayant sélectionné un auteur issu d'une famille vaincue (guerre des Taira contre les Minamoto de 1180 à 1185).

 

Ä Ki no Tsurayuki :

En tête du hit-parade, il est présent dans 9 anthologies avec plus de 300 poèmes collectés sous 3 signatures : 貫之, 紀貫之 et つらゆき.

Tsurayuki a été particulièrement influent car son introduction au Kokin wakashū était le premier travail critique sur la poésie japonaise. Il y a développé l'importance de différencer le style (kotoba) et le cœur (kokoro) d'un waka.

 

Mais le fait qu’il soit répertorié dans les trois premières et les trois dernières anthologies de la série étudiée semble montrer qu’il est tombé un peu en disgrâce au milieu des compilations.

 

Ki no Tsurayuki est un des 100 poètes du Hyakunin Isshu et un des 36 immortels.

 

Né (à une date incertaine) dans une famille d'aristocrates et de poètes, il officiait tant à la Cour impériale qu'en provinces, où il a été nommé vice-gouverneur des provinces de Kaga puis de Mino, et gouverneur de la province de Tosa (vers 930).

 


Zone de Texte: Poètes par Masanobu Okumura (1686 – 1764)
Ä Fujiwara no Teika :

Vient ensuite Fujiwara no Teika 藤原定家朝臣(1162 – 1241), avec plus de 200 poèmes, également connu sous les noms de Teika, Sadai’e (定家)[16] ou Fujiwara no Sadai’e (定家朝臣).

Fils de Fujiwara no Toshinari, il fut pressenti pour succéder à son père à la tête du clan et aux fonctions poétiques. Mais son caractère bouillant et impatient lui valut une brève disgrâce, en 1185, pour avoir frappé un supérieur.

Après cet événement, sa carrière fut ralentie, d'autant plus que l'influence politique de son clan déclina. Il traversa une sombre période poétique, éclipsé par la notoriété de son père et par les plans de ses rivaux, le clan Rokujō, qui l'écartèrent des événements poétiques majeurs.

Mais en 1201, à la faveur de l'Empereur Go-Toba, Teika fut nommé, avec 10 autres poètes, membres du tout nouveau Bureau de la Poésie (wakadokoro和歌所) afin d'organiser différents concours ou événements poétiques et de rassembler les matériaux nécessaires à une nouvelle anthologie.

 

Teika a gravi tous les échelons hiérarchiques jusqu'à atteindre, en 1227, le rang du deuxième degré à la Cour, le plus honorifique pour une personne roturière. La plus haute reconnaissance poétique lui fut ensuite accordée par l'Empereur Go-Horikawa qui lui commanda la compilation d'une nouvelle anthologie (Shinchokusen wakashū).

Il réalisa beaucoup de compilations, plus ou moins importantes, de ses poèmes préférés (d'autres poètes), qu’il destinait à ses élèves. La plus connue reste le Hyakunin Isshu qu’il a réalisé avec un poème de 100 poètes de la période médiévale afin de présenter les différentes techniques et sensibilités du waka.

Il est également compilateur des anthologies 7 & 8 : Senzai-waka-shu, Shinkokin wakashū.

Il est présent, dans toutes les anthologies à partir du Senzai wakashu. En d’autres termes il n’est absent que des anthologies réalisées avant sa naissance.

 

Teika était influencé par les poètes classiques du 9ème siècle, par les Six génies (rokkasen) aussi bien que par Shunzei, son père (ci-dessous). Une des caractéristiques essentielles de sa poésie réside dans la pratique du honkadori (本歌取り), technique par laquelle le poète insère une discrète allusion à un poème plus ancien, voire modèle une variation du poème auquel il se réfère.

 

Teika est un des quatre plus grands poètes japonais, et son autorité poétique s'est étendue pendant plus de 6 siècles après sa mort. Les trois autres sont : Hitomaro ( ?-708), le moine zen Sogi (宗祇, 1421-1502), maître de renga, et Bashô (松尾芭蕉 1644-1694).

 

 

Ä Fujiwara no Toshinari :

Le troisième poète important est Kotaigogu no Daibu Toshinari (皇太后宮大夫俊成 ou Fujiwara no Toshinari) présent, dans toutes les anthologies à partir du Senzai wakashu.

Sous son autre nom Fujiwara no Shunzei[17] (藤原俊成), il est avec Teika, son fils,  le compilateur du Senzai wakashu.

Son activité poétique la plus connue est celle signée Shunzei.

Sa réputation est établie, dès 1150, lorsqu'il est sélectionné, avec 13 autres poètes, pour participer à la Kyūan hyakushu (séquences poétiques de l'ère Kyūan), commandée par l’ex Empereur SUTOKU.

Le thème récurrent de sa poésie est « le passage du temps, la beauté fragile d'un monde dans lequel seuls les changements sont constants. »[18]

 

 

Vient ensuite, avec plus de 150 poèmes, Fujiwara no  Tamaie (前大納言爲家, 1198 – 1275), second fils de Teika.

Il a compilé les 10ème (Shokugosen Wakashū) et 11ème anthologies (Shokukokin Wakashū).

Puis les poétesses Izumi Shikibu et Ise.

 

 

 

 

 

 

5. Particularités de certaines anthologies

 

Ä Le Kokinshū (n°1)

Outre sa qualité poétique indéniable, le Kokinshū est célèbre pour la préface en japonais de Ki no Tsurayuki qui exprime, pour la première fois, l’esthétique de la poésie japonaise. Elle peut se résumer en une phrase « La poésie germe dans le cœur », et quatre principes : kokoro ( le sens), kotoba (言葉 les mots) sama ( le style, la manière) et sugata (姿 l'effet, l’apparence).

 

 

Mibu no Tadamine 壬生忠岑, autre compilateur du Kokinshū, est le second poète à avoir défini le genre waka dans son traité poétique Wakatei jusshu 和歌体十[19](les 10 styles de waka) en l’an 945. A ces deux précurseurs, il faut ajouter Fujiwara Kinto 藤原公任, compilateur de la troisième anthologie impériale, qui a regroupé ses théories dans deux ouvrages de la première décennie du 11ème siècle : Shinsen zuino 新撰髄脳 (Essentiels de la poésie, nouvellement compilés) et Waka kuhon 和歌九品 (Neuf styles de waka )

 

 

Ki no Tomonori 紀友則, cousin de Tsurayuki, a rédigé la préface chinoise. Il retient quant à lui trois concepts : (ou nasake le sentiment,la sensation), kotoba (言葉 les mots) et tai ( le style).

 

L'ouvrage se répartit en trois groupes : les poèmes anonymes, les poèmes du rokkasen[20] 六歌仙, et ceux des compilateurs et de leurs contemporains.

Il existe aussi un livre "divers" entièrement consacré au wakadokoro[21] 和歌所, le bureau de poésie.

 

 

Il est généralement divisé en trois périodes :

  • de la fin de l’ère Nara au début de celle de Heian, cette anthologie se chevauchant donc avec le Man’yoshū. Most of these poems continue the older styles inherited from the early literary period, but there are a few striking exceptions which show the new influences: for example, Heizei's poem treating the autumn leaves on the river Tatsutagawa as a bright brocade that might be tom if stepped upon (Kokinshü 283); Takamura's poem declaring the scent of the plum blossoms to be a sure sign of their presence, even though the eye may confuse their white beauty with snowflakes (335).Une poésie qui hérite, à quelques exceptions près, des styles précédents.

 

  • la deuxième période, qui s’échelonne sur une trentaine d’année seulement (environ de 860 à 890), est l’époque la plus intéressante de la poésie classique, correspondant à l’âge des six génies poétiques20, dont les deux qui se distinguent sont Ariwara no Narihira 在原業平 et Ono no Komachi 小野小町

 

 

  • la dernière période est celle des compilateurs (885 à 905). Leurs poèmes sont à la fois plus raffinés, plus modérés et moins passionnés.

 

 

人にあはむ月のなきには思ひおきてむねはしり火に心やけをり

 

Hito ni awan

Tsuki no naki niwa

Omoiokite

Mune hashiribi ni

Kokoro yakeori

 

Par une telle nuit,

Alors que la lune nous prive de la chance de nous rencontrer,

Je me réveille, débordante de passion,

Un incendie incontrôlable dans la poitrine

que consume pleinement mon cœur

 

Ono no Komachi

 

 

Notons pour l’anecdote, que le terme haïkaï, ‘verset non conventionnel’ apparaît pour la première fois dans cette anthologie. Tsurayuki y classe « des poèmes jugés excessifs, comiques même, à tel point qu’ils ne peuvent pas être répertoriés dans les autres catégories, plus formelles. »[22]

Ainsi ce waka de Komachi, débordant d’une passion jugée trop intense, trop clairement exprimée, y a été relégué.

 

 

Ä Le Gosenshū (n° 2) et le Shūishū (n° 3) ont pour particularité d’être complémentaires à la première anthologie, comme l’indiquent leurs noms. Ils compilent ‘les refusés’ du Kokinshū.

 

 

Ä Le compilateur du Shūishū (n° 3) est probablement Fujiwara no Kintō 藤原公任.


 Poète par Kunisada Utagawa (1786-1865)


Kintō, un conservateur, préférait les conventions et la virtuosité technique. Et, bien que la poésie contemporaine commençait à évoluer, notamment sous l’influence de la poésie chinoise de Bo Juyi, il a préféré conforter la prééminence du clan Fujiwara.

Cette homogénéité poétique a toutefois commencé à s’effriter, notamment sous l’influence de Sone no Yoshitada 曾禰好忠, qui employait des expressions familières, des images non conventionnelles ou une scansion particulière. Le processus a été long : Yoshitada, tel un visionnaire, n’a pas trouvé grâce aux yeux de ses contemporains, et il a fallu attendre plus d’un siècle pour que les poètes de la Cour commencent à adopter la méthode de Yoshitada.

 

L’histoire des anthologies est ainsi parsemée de conflits entre clans politiques ou différentes écoles poétiques. Conservateurs contre rénovateurs, notamment.

 

 

Ä Dans le Goshuishū (n° 4), nous trouvons encore des repentis que Fujiwara no Michitoshi 藤原通俊 est allé chercher !

Mais Michitoshi, sans doute moins conservateur que son prédécesseur, a sélectionné des poètes contemporains  dont les styles, novateurs, commençaient à émerger : le prêtre Noin (Noin Hoshi 能因法師) et Minamoto no Tsunenobu 経信[23], par exemple.

Tsunenobu était considéré comme l’un des grands rénovateurs de la poésie descriptive et Noin était un poète itinérant, qui fuyait le style compliqué, devenu artificiel, des Fujiwara pour lui préférer un style simple et sincère.

 

L’histoire du waka reste une lutte perpétuelle pour établir un équilibre, par définition instable, entre kokoro et kotoba.

 

 

Ä Le Kinyoshū (n° 5)

Les deux premières ébauches réalisées par le compilateur ont été refusées par l'Empereur, ce qui explique que date de publication ou nombre de poèmes diffèrent selon les sources consultées.

 

Au conflit de Kintō contre Yoshitada, a succèdé celui de Fujiwara no Mototoshi 藤原基俊 (1060-1142) contre Minamoto no Toshiyori 源俊頼[24].

Mototoshi, fidèle au clan Fujiwara, s’accrochait désespérément à la tradition tandis que Toshiyori/Shunrai suivait tant les pas de Yoshitada que ceux de son père, Tsunenobu. Il a ainsi grandement participé au développement du symbolisme descriptif (par association poétique, des expressions descriptives symbolisent des états émotionnels).

 

Aussi, dans cette anthologie, Toshiyori/Shunrai a rompu avec la tradition, d’une part, en privilégiant la poésie contemporaine, composée notamment de descriptions naturelles ou symbolistes, et d’autre part, en choisissant moitié moins de volume et moins d’anonymes (à peine 10%).

 

 

Ä Le Shikashū (n°6)

Attention à ne pas confondre cette anthologie impériale (Shikashū 詞花集) avec les shikashū 私家集, ou ie no shū, qui sont des compilations privées des waka d'un poète (qui peuvent aussi contenir d'autres poètes lorsqu'il y a eu échange poétique).

 

Ä Le Senzaishū (n° 7)

Cette anthologie est marquée par une longue période de gestation, conséquence de la guerre de pouvoir des Taira contre les Minamoto.

Shunzei a renoué avec la tradition en compilant à nouveau 20 volumes (au lieu des 10 dans les deux précédentes anthologies), et il a attaché une certaine importance aux anciens puisque la période couverte s'étale sur plus de deux siècles. Tout comme dans le Kokinshū également, la première moitié est dominée par les poèmes de saison et la seconde par les poèmes d'amour.

 

Shunzei a cherché à équilibrer son anthologie entre modernes et anciens, hommes et femmes, conservateurs et innovateurs. Travail de sélection largement reconnu puisque 73 des 383 poètes sélectionnés se retrouveront dans le Shinkokinshū.

 

Ä Le Shinkokinshū (n° 8)

Cette anthologie est marquée par la volonté de Go-Toba de prouver que son règne était l'âge du renouveau de la poésie... après l'âge d'or du Kokinshū. Aussi a-t-il personnellement veillé aux sélections et à l'ordonnancement des poèmes, au grand dame de Teika.

Le titre d'ailleurs ne laisse aucun doute sur ce point : c’est celui du Kokinshū précédé de l’adjectif nouvelle.

 

Les poèmes de cette période sont caractérisés par de riches évocations romantiques et de subtiles nuances de ton. « Une profondeur obtenue d'une part par de fréquentes allusions à d'anciennes poésies, et d'autre part par l'emploi d'images naturelles symbolisant les sentiments. »[25]

 

La grande particularité des volumes est de « présenter une progression dans le choix des poèmes.

Les six premiers livres décrivent la progression de la nature au cours d'une année, et les cinq volumes consacrés à l'amour relate l'évolution d'un amour de Cour depuis les premières approches jusqu'à l'éventuel abandon de la femme dans la solitude et le désespoir. »25

Les poèmes ainsi liés ouvrent la voie du renga et du haïkaï no renga… mais c’est une autre histoire !

 

をとは山さやかに見ゆる白雪をあけぬとつぐるとりのこゑかな

 

otowa yama

sayaka ni miyuru

shirayuki o

akenu to tsuguru

tori no koe kana

Sur le mont Otowa[26],

Trompés par l'éclatante blancheur

De la neige,

Les oiseaux se mettent à chanter

Pour annoncer le jour.

 

 

Empereur retiré Takaku 高倉院御哥

Traduction Hisayoshi Nagashima

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] dai signifie génération ou époque ; shū anthologie ; les autres expressions sont des nombres : 21 = nijūichi  二十一, 3 = san , 8 = hachi , 13 = jūsan 十三

[2] Ils n’ont pas obtenu la direction des 14ème & 17ème

[3] Ils sont réunis dans la groupe Nashitsubo no Gonin 梨壺の五人 (les cinq de la chambre des poiriers [nom du lieu-dit où était implanté le palais renfermant le bureau de poésie – wakadokoro)

[4] L’étude suivante porte sur 15 anthologies et 22000 poèmes environ, soit les 2/3 des publications.

[5] in Revue du Tanka International n° 45

[6] La valeur poétique de cet échange est évidemment discutable. Mais il en est ainsi de nombreux poèmes dits archaïques.

[7] Hisayoshi Nagashima in Revue du Tanka International n° 60

[8] Hisayoshi Nagashima in Revue du Tanka International n° 60

[9] Hisayoshi Nagashima in Revue du Tanka International n° 62

[10] À l'époque de Heian, Ono est une région rurale sur le versant ouest du Mont Hiei, proche de Kyōto.

[11] Il existe à Kyōto deux sanctuaires (shinto) Kamo : Kamigamo-jinja 上賀茂神社 et Shimogamo-jinja 下鴨神社. Le 15 mai, s’y déroule un festival (Aoi Matsuri 葵祭り)

[12] Religion autochtone polythéiste basée sur des croyances animistes (les dieux, appelés kami, sont les esprits du moindre élément de la nature). Si la religion est peu pratiquée aujourd'hui, elle reste ancrée dans les traditions populaires. Les festivals (matsuri) en sont le reflet.

Elle peut être comparée, d'une certaine manière, à nos croyances païennes.

[13] à ne pas confondre avec le bouddhisme zen qui ne fut introduit au Japon qu'au 12ème siècle

[14] Hisayoshi Nagashima in Revue du Tanka International n° 8

[15] Hisayoshi Nagashima

[16] Teika résulte de la prononciation sino-japonaise des caractères de Sadaie

[17] Shunzei est la prononciation japonaise des caractères chinois employés pour écrire Toshinari.

Toshinari est le nom qu’il a utilisé à partir de 53 ans. Avant, il était connu sous Akihiro, et d'autres noms encore. 10 ans plus tard, en 1177, il change encore de nom, Shakua, alors qu'il intègre les ordres bouddhistes.

[18] in Encyclopédie du Japon, Kodansha Ltd.

[19] Le rouleau, conservé au Musée national de Tokyo, est sur le site : http://www.emuseum.jp/cgi/pkihon.cgi?SyoID=4&ID=w111&SubID=s000#top

[20] Rokkasen 六歌仙 : les ‘six poètes immortels’ désignés par Ki no Tsurayuki, dans sa préface du Kokinshū : Henjō 遍昭, Ariwara no Narihira 在原業平, Ono no Komachi 小野小町, Kisen 喜撰 (ou Kisen Hōshi 喜撰法師), Ōtomo no Kuronushi 大友 黒主, Fun’ya no Yasuhide 文屋 康秀

[21] Bureau de poésie, créé par l’Empereur, en général pour compiler les anthologies ou organiser des concours.

[22] Hisayoshi Nagashima in Revue du Tanka International n° 37

[23] (1016-1097) également connu sous le nom de Dainagon Tsunenobu 大納言経信

[24] ou Minamoto no Shunrai 源俊頼 (1114-1204)

[25] in Encyclopédie du Japon, Kodansha Ltd.

[26] Otowa yama : Colline à l’est de Kyōto où est situé le célèbre temple bouddhique Kiyomizu-dera 清水寺





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