A la fin du XIX° siècle, le japonisme influence la culture française. La poésie japonaise est
du voyage, mais il faudra attendre 1905 pour que germe la 1ère plaquette de haïku ‘Au fil de
l’eau’ publiée, hors commerce, par Paul-Louis Couchoud, Albert Poncin et André Faure.
Moissonneurs dans les blés.
A l’ombre d’une gerbe,
Une grande soupière.
Que ce recueil soir le premier de langue française lui confère une valeur historique. Mais il est
également d’une précision scientifique remarquable : Paul-Louis Couchoud et ses amis ont en
effet composé des haïkus qui illustrent toutes les possibilités du genre identifiées par Paul-Louis
Couchoud dans son livre ‘Les épigrammes lyriques du Japon’.
Depuis cette première tentative de Paul-Louis Couchoud, le haïku français s’est considérablement
développé. Au cours du siècle passé, nous pouvons dégager quatre grandes périodes au regard des
ouvrages publiés :
- le haïku, poème du quotidien
- le haïku, poème du zen
- le haïku, poème japonais
- le haïku contemporain
Le haïku, poème du quotidien
Jusqu’à la seconde guerre mondiale, sous l’impulsion d’une poignée
d’auteurs, le haïku devient le poème de l’instant quotidien. Jean Paulhan,
René Maublanc, Julien Vocance, Paul-Louis Couchoud et bien d’autres dévoilent des
morceaux de vie, cherchent à faire partager leurs sentiments, leurs émotions, par le biais du haïku.
C’est alors un haïku vivant, proche des hommes. Il ne cherche pas nécessairement à ancrer l’homme
dans la nature, à lui montrer le chemin de la voie spirituelle. Il se veut concret. A tel point que
les haïjins français, traumatisés comme bon nombre de leurs contemporains, écriront de nombreux
haïkus au front de 14, comme pour exorciser l’horreur :
Des croix de bois blanc
Surgissent du sol,
Chaque jour, çà et là.
Julien Vocance
C’est une période de découverte, d’adaptation, d’enthousiasme :
Un tas de feuilles mortes
A traversé la route
Avec des jambes d’homme.
René Maublanc
Au piano.
Quatre mains.
Un seul cœur.
René Maublanc
Au mur de la colline,
on accroche un village
… Mais sans cadre !
René Druart
Et, en 1923 sera publiée la 1ère anthologie de haïku français sous la direction de René Maublanc
dans la revue « Le Pampre », après une première compilation de Jean Paulhan dans la revue de la NRF
en 1920.
Elle a dit : Oui,
Mais elle a répondu trop vite.
J'ai compris : Non.
Georges Sabiron
Des soirs que j'aimais
Une robe de l'an passé
M'a rendu l'odeur.
Madame Lesage
Le haïku, poème du zen
Les périodes agitées de la seconde guerre mondiale et de la reconstruction qui s’en est
suivie furent peu propices aux publications de haïku. Il faudra attendre la fin des années 60
pour que réapparaisse le genre. La mode est à la vitesse, à la (sur)consommation, à la volonté de
dominer la nature, à l’ouverture aux cultures américaines.
Le haïku français des origines a été un peu oublié, et le haïku devient zen, spirituel.
Probablement en opposition au mode de vie de cette époque. En raison, également, de la découverte
d’auteurs, comme Jack Kerouac ou James W. Hackett, et de la publication des quatre volumes
Haiku and senryu de l’américain Reginald Horace Blyth (1898 – 1964) qui a privilégié
la traduction des haïkus spirituels, empreints de bouddhisme zen.
Tout le linge
sur ce fil
a gagné trente bons centimètres
Jack Kerouac
A travers la vitre :
un moineau livre bataille –
à sa propre image.
James W. Hackett
Le haïku japonais
Les années 80 appartiennent aux traducteurs. Maurice Coyaud, René Sieffert, Alain Kervern,
Roger Munier, Jean Cholley, Hervé Collet et Cheng Wing Fu nous livrent leurs anthologies ou
des ouvrages spécialisés traitant du senryû ou du saïjiki.
Rien ne bouge
Que le ciel d’été
Lichen sur les pins
Katô Shûson
Il se sent comme le chat du prisonnier,
le surveillant du gynécée
auteur inconnu
Le voleur
Il a oublié de la voler
La lune à la fenêtre
Ryôkan
Les références sont nombreuses. Certaines méritent une place de choix dans la bibliothèque du haïjin,
d’autres non.
Le haïku francophone contemporain
Bien évidemment les haïkus des maîtres japonais sont toujours publiés mais, depuis les années 90,
grâce à Internet, les haïjins se regroupent autour de projets. Le plus célèbre est la publication
de ‘haïkus sans frontières’, une anthologie mondiale, en français, réalisée par André
Duhaime (un livre et un site Internet) :
Tu as froid dans mes bras
Tu veux que je réchauffe
Le vent
Jeanne Painchaud
trottoir verglacé
à petits pas
sur d’autres pas
André Duhaime
premier jour d’école –
une île d’encre
sur le cahier
Ion Codrescu
Les auteurs se rencontrent alors sur le réseau. Grâce à cette technologie, qui favorise les échanges,
le haïku se développe. Les discussions, passionnées, passionnantes, sont parfois enflammées car les
auteurs sont influencés par différentes écoles, différents genres.
Cette diversité d’écriture transparaît dans « l’anthologie du haïku en France », publiée
en 2003, sous la direction de Jean Antonini21, 80 ans après celle de Jean Paulhan.
Le soleil en miettes
sous le tilleul.
Le raccommoder ?
Jean Féron
Premier jour d’été
Un grillon prenant le frais
dans les cabinets
Patrick Blanche
Draps à la fenêtre
chiffons de rêves fanés
au premier soleil
Anick Baulard
L’été est de retour
J’avais oublié
les fourmis dans la cuisine
Christophe Rohu
Entre les volets
le monde s’est rétréci :
un ami est mort
Jean-Pierre Hanniet
matinée d’août –
premier soin au potager
en robe de chambre
Henri Chevignard
Ainsi, depuis un siècle, le haïku s’est adapté à la culture francophone.
Cependant trop nombreux sont ceux qui pensent que n’importe quel texte de 17 syllabes en 3
lignes est un haïku.
Pour combattre cette fausse idée, est apparue, en décembre 2008, la revue francophone
de haïku,
Ploc!, mensuel gratuit publié par l’Association pour la promotion du Haïku.