L'essence du haïku se situe bien au delà de toute espèce de nationalisme
ou de "japonisme", pour atteindre l'universel.
Patrick Blanche (citant James W. Hackett)

HAIKUS COMMENTES

Sur cette page, vous trouverez des commentaires que j'ai écrit sur des haïkus parus ici et là ou certains de mes haïkus commentés.
Une autre façon d'apprendre...


Commentaire n°1 : nuit noire
Bien souvent, les haïku qui nous plaisent suscitent une discrète approbation, parfois un sourire, et plus rarement encore une exclamation. Cette rubrique sera désormais un espace disponible où exprimer ses plaisirs de lecture plus en détail, en tentant d'en mettre en lumière le plus précisément possible les qualités techniques, et le plus sincèrement possible l'émotion ressentie. Il ne s'agira pas, bien sûr, d'une explication de texte magistrale et autorisée, mais d'une interprétation, parmi d'autres possibles.
J'y laisse le premier mon empreinte, avec un haïku de Dominique Chipot.
J'aurai le plaisir, à partir du n°3 de Gong, d'ouvrir cette tribune à qui souhaitera nous faire partager une belle trouvaille! Toute candidature sera donc bienvenue.

Nuit noire -
Dans le faisceau des phares
le chant des cigales

De prime abord, ce qui frappe dans ce haïku est l'allitération qui en ponctue les deux premiers vers. Cette allitération (en oire, are) laisse présager une atmosphère un peu inquiétante. Puis, cette première impression est confirmée par le sens de ces deux vers: la "nuit noire" plante le décor, un décor de roman policier, ou de drame. Le temps de silence, marqué par le tiret, accentue encore cet effet inquiétant.
Le faisceau des phares qui apparaît ensuite est plus ambivalent, puisque la lumière entre en scène. Mais tout reste possible: vient-elle couper court à cette étouffante obscurité, ou bien éclairer quelque crime?
Alors, arrive la solution, porteuse d'une quiétude inattendue: un chant de cigales. Ce dernier élément, bien sûr, en faisant basculer le texte du polar vers le poème, apporte une douceur devenue nécessaire, tant par les sonorités, que par le sens, lui-même riche des symboles communément attachés au chant des cigales. Ainsi, est finalement évoqué un climat agréable, l'oisiveté, l'insouciance. Peut-être la route qui nous inquiétait au départ est-elle celle, plaisante, des vacances?

Mais la vraie trouvaille de ce haïku réside dans la confusion des sens. Car ce que l'auteur pointe du doigt dans cette nuit, ce qu'il nous invite à voir dans la lumière des phares, c'est... un son. Ce qu'il nous montre, en quelque sorte, c'est qu'il n'y a rien à voir, et qu'au contraire, il convenait à cet instant précis d'ouvrir plutôt les oreilles.
La boucle est donc bien bouclée, et l'équilibre bien assuré : aux deux ambiances distinctes, l'une pesante, et l'autre légère, correspond un univers visuel, et un autre sonore.
Henri CHEVIGNARD, in Gong n°2, décembre 2003

Commentaire n°2 : deux canards s’envolent
deux canards s’envolent
au-dessus des HLM
aux rideaux tirés

Je préfère ce haïku de Dominique Chipot.
Il y a des édifices comme lien entre ciel et terre.
J‟apprécie l‟opposition entre les canards qui volent dans un espace ouvert et les humains (sous-entendus par les rideaux) dans un espace fermé.
On dit que la langue japonaise est riche en polysémie, toutefois la langue française n‟est pas en reste avec les multiples significations du verbe «tirer» : si on s‟entend pour penser que les rideaux sont fermés, dans un autre contexte ces mêmes rideaux pourraient tout autant être ouverts. Je suis sous le charme du pouvoir évocateur de ce haïku parce que mon esprit est éveillé par les questions qu‟il suscite en moi et auxquelles je suis tenté de répondre … Qui a tiré les rideaux? Une personne fatiguée, dépressive? Une famille en deuil?
Un couple amoureux? Pour ne pas voir quoi? Pour n‟être pas vu de qui? Etc.
André Duhaime in Gong n°11, avril 2006 (Les coups de coeur du jury)

Commentaire n°3 : ravalement de façade
Epurez, évitez la contrainte du 5-7-5
monter l’échafaudage, / pour ravaler la façade, / dans le jardinet
Voilà qui est simple. Pourquoi enfermer cette notation dans une structure lourde de 17 syllabes ? « Toute la liaison qu'il doit y avoir entre les paroles & les choses qu'on dit consiste à se servir de termes grands & élevés pour les choses grandes & de termes simples pour les choses simples Il est vrai qu'il faut de la simplicité dans toute sorte de style; mais cette simplicité n'est pas ennemie du sublime & de la véhémence; & ce n'est pas un moindre défaut de se servir de paroles simples pour exprimer des choses sublimes & magnifiques, que si pour en exprimer de médiocres & d'ordinaires on employait des termes ampoulés. »

Pour simplifier ce haïku, interrogeons-nous sur l’utilité de chaque mot et dégageons ainsi la colonne vertébrale du poème :
- le verbe monter n’est pas indispensable. Son emploi n’ajoute rien à la compréhension du haïku.
- ‘jardinet’ est un terme vague sans notion saisonnière. Si la scène se passe en hiver, il n’y a pas lieu d’en parler. En citant une fleur (il s’agissait de tulipes), une opposition se crée entre celle-ci et l’activité humaine.
Voici le noyau, la colonne vertébrale de ce haïku : 1. l’échafaudage 2. le ravalement de façade 3. les tulipes.
Pourquoi en dire plus ?
A choses simples, écrit simple (mais pas trop simpliste au point d’être vide de sens).


ravalement de façade
l’échafaudage
au dessus des tulipes
in Haïku-dô, la voie du haïku


Commentaire n°4 : nouvel an
Remplissez, profitez de l’espace
nouvel an – / je marche / dans les vignes
Quel dépouillement ! Tant de simplicité nuit à l’évocation des sens. En atelier d’écriture, je qualifie ce type de tercet de ‘haïku paresseux’ car les deux dernières lignes sont dépendantes, l’enjambement n’étant qu’un artifice inutile servant à dissimuler la faiblesse du texte.
Regroupons ces deux segments et le constat saute aux yeux : il manque un troisième élément pour suggérer au lecteur, qui n’est pas devin, les raisons d’être de cette notation.

nouvel an – / je marche dans les vignes / …
Reprenons en détail :
- ‘nouvel an’ est vague. A quel moment de la journée sommes-nous ? C’était en réalité la nuit. Cette nuit de nouvel an ordinairement consacrée à la fête. ‘Nuit de nouvel an’ semble donc plus approprié.
- Nous sortions du réveillon et allions rejoindre à pied notre hôtel, éloigné de cinq kilomètres, en traversant le vignoble alsacien. Dans la nuit noire, guidé par les feux d’artifice, j’ai tout à coup ressenti l’éphémère de notre existence au milieu de ces vignes qui se transmettent de génération en génération. Alors exprimons le !

nuit de nouvel an – / je marche / dans de vieilles vignes
La sensibilité gustative de cette appellation ‘Vieilles vignes’ n’est pas sans intérêt. Mais employons-nous le terme exact ? ‘Vignoble’, terrain planté de vignes, ne serait-il pas plus judicieux ?

nuit de nouvel an – / je marche / dans de vieux vignobles
Mais, que veut dire ‘vieux’ ? L’homme aussi peut-être vieux. L’opposition entre les deux éléments ne transparaît pas suffisamment. Je pensais à centenaire, tout en me demandant si un vignoble pouvait être centenaire ? J’ai trouvé la réponse à cette question le lendemain. En allant rechercher la voiture, nous sommes passés par un autre vignoble, dont un panneau annonçait son âge remarquable : 300 ans.
C’était là la réponse certaine que j’attendais : il faut employer le terme vignoble car la vigne est aussi éphémère que l’homme...

nuit de nouvel an – / je marche / dans des vignobles centenaires
Voilà ce que je ressentais ; voilà ce que je devais exprimer. Une dernière retouche permet d’équilibrer l’ensemble :

nuit de nouvel an – / je marche dans des vignobles / centenaires
Chaque ligne a maintenant son existence : indépendante des autres, elle y reste obligatoirement liée pour constituer un tout.
Cela aurait pu suffire. Mais pour mieux charpenter le texte, j’ai choisi la forme 5/7/5 :

nuit de nouvel an –
je marche dans des vignobles
déjà centenaires
in Haïku-dô, la voie du haïku




© 2002 - dominique Chipot - textes & photos

Le haïku : le temps d'un instant
http://www.dominiquechipot.fr




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