"Écrire des haïkus, c'est choisir délibérément d'aller à l'essentiel.
Il n'y a pas de place pour le superflu, car il n'y a pas de place tout court."
dc

Haïkus décortiqués

Ces deux exemples montre que la densité du haïku réside dans son harmonie, sa complétude c’est-à-dire quand plus rien ne peut être enlevé ou ajouté au risque de détruire à la fois le sens, le symbole (qui peut servir la suggestion) et la musique.
Cette fragile stabilité s’obtiendra tant avec 17 syllabes que moins puisque le mètre n’est pas l’essentiel .

Epurez, évitez la contrainte du 5-7-5
monter l’échafaudage, / pour ravaler la façade, / dans le jardinet
Voilà qui est simple. Pourquoi enfermer cette notation dans une structure lourde de 17 syllabes ? « Toute la liaison qu'il doit y avoir entre les paroles & les choses qu'on dit consiste à se servir de termes grands & élevés pour les choses grandes & de termes simples pour les choses simples Il est vrai qu'il faut de la simplicité dans toute sorte de style; mais cette simplicité n'est pas ennemie du sublime & de la véhémence; & ce n'est pas un moindre défaut de se servir de paroles simples pour exprimer des choses sublimes & magnifiques, que si pour en exprimer de médiocres & d'ordinaires on employait des termes ampoulés. »

Pour simplifier ce haïku, interrogeons-nous sur l’utilité de chaque mot et dégageons ainsi la colonne vertébrale du poème :
- le verbe monter n’est pas indispensable. Son emploi n’ajoute rien à la compréhension du haïku.
- ‘jardinet’ est un terme vague sans notion saisonnière. Si la scène se passe en hiver, il n’y a pas lieu d’en parler. En citant une fleur (il s’agissait de tulipes), une opposition se crée entre celle-ci et l’activité humaine.
Voici le noyau, la colonne vertébrale de ce haïku : 1. l’échafaudage 2. le ravalement de façade 3. les tulipes.
Pourquoi en dire plus ?
A choses simples, écrit simple (mais pas trop simpliste au point d’être vide de sens).


ravalement de façade
l’échafaudage
au dessus des tulipes



Remplissez, profitez de l’espace
nouvel an – / je marche / dans les vignes
Quel dépouillement ! Tant de simplicité nuit à l’évocation des sens. En atelier d’écriture, je qualifie ce type de tercet de ‘haïku paresseux’ car les deux dernières lignes sont dépendantes, l’enjambement n’étant qu’un artifice inutile servant à dissimuler la faiblesse du texte.
Regroupons ces deux segments et le constat saute aux yeux : il manque un troisième élément pour suggérer au lecteur, qui n’est pas devin, les raisons d’être de cette notation.

nouvel an – / je marche dans les vignes / …
Reprenons en détail :
- ‘nouvel an’ est vague. A quel moment de la journée sommes-nous ? C’était en réalité la nuit. Cette nuit de nouvel an ordinairement consacrée à la fête. ‘Nuit de nouvel an’ semble donc plus approprié.
- Nous sortions du réveillon et allions rejoindre à pied notre hôtel, éloigné de cinq kilomètres, en traversant le vignoble alsacien. Dans la nuit noire, guidé par les feux d’artifice, j’ai tout à coup ressenti l’éphémère de notre existence au milieu de ces vignes qui se transmettent de génération en génération. Alors exprimons le !

nuit de nouvel an – / je marche / dans de vieilles vignes
La sensibilité gustative de cette appellation ‘Vieilles vignes’ n’est pas sans intérêt. Mais employons-nous le terme exact ? ‘Vignoble’, terrain planté de vignes, ne serait-il pas plus judicieux ?

nuit de nouvel an – / je marche / dans de vieux vignobles
Mais, que veut dire ‘vieux’ ? L’homme aussi peut-être vieux. L’opposition entre les deux éléments ne transparaît pas suffisamment. Je pensais à centenaire, tout en me demandant si un vignoble pouvait être centenaire ? J’ai trouvé la réponse à cette question le lendemain. En allant rechercher la voiture, nous sommes passés par un autre vignoble, dont un panneau annonçait son âge remarquable : 300 ans.
C’était là la réponse certaine que j’attendais : il faut employer le terme vignoble car la vigne est aussi éphémère que l’homme...

nuit de nouvel an – / je marche / dans des vignobles centenaires
Voilà ce que je ressentais ; voilà ce que je devais exprimer. Une dernière retouche permet d’équilibrer l’ensemble :

nuit de nouvel an – / je marche dans des vignobles / centenaires
Chaque ligne a maintenant son existence : indépendante des autres, elle y reste obligatoirement liée pour constituer un tout.
Cela aurait pu suffire. Mais pour mieux charpenter le texte, j’ai choisi la forme 5/7/5 :

nuit de nouvel an –
je marche dans des vignobles
déjà centenaires




© 2002 - dominique Chipot - textes & photos

Le haïku : le temps d'un instant
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